L’intelligence de la Nature

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Crédit photo © Association Bès/Truyère

La relation qui unit l’Homme à la Nature est d’une bienfaisante complexité. La contemplation de la Nature et de ses manifestations -les plus ordinaires comme les plus éclatantes- est source d’émotion, d’admiration, de courage, d’élan, d’inspiration, d’humilité. La prise de conscience de cette influence positive et tangible sur le moral de l’Homme et sur le sens de son action est une condition première à la véritable démarche écologique. Celle démarche se nourrit d’une connaissance fine (qui peut être pratique, scientifique et/ou instinctive) des milieux naturels et des pratiques traditionnelles pour mieux guider l’action de l’Homme, jusque dans l’innovation, et éviter que l’équilibre -inévitablement instable- entre l’Homme et la Nature ne se détériore au point de laisser place au chaos. Particulièrement évident en Aubrac, l’équilibre instable entre Tradition et Innovation dans la relation Homme-Nature est une source constante d’adaptabilité et de la saine dynamique qui anime les principaux acteurs économiques de ce territoire, comme l’illustre si bien la troisième édition de la revue « Terres d’Aubrac ». Les exemples d’une riche collaboration entre l’Homme et la Nature y abondent et confirment que le bien-être de l’Homme est étroitement lié à la connaissance et au respect qu’il a de son environnement naturel.

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Hêtre, Aubrac – Crédit Photo © Association Bès/Truyère

Mais toute relation a son côté obscur. Ainsi, l’exploitation effrénée des ressources naturelles obéit aux seules règles du monde financier sans égard ni pour la Nature, ni pour l’Homme et bafoue tous les principes écologiques, quelle que soit l’échelle d’analyse (foyer, village, territoire, nation, planète). A cela nous résistons. Et à ceux qui nous gouvernent mais ne nous entendent plus, nous dédions ce magnifique poème de Victor Hugo, « La Nature »: superbe mise en perspective du lien entre l’Homme et la Nature et illustration talentueuse des menaces qui pèsent sur nos territoires de montagne, Aubrac, Causses, Margeride. C’est toute l’intelligence de la Nature qui s’oppose avec vigueur à l’imbécilité de l’Homme. Pessimiste mais réaliste, un poème pour la résistance. Aubrac, Causses, Margeride: nous ne les laisserons pas devenir nos gibets de potence.

P. Debord, Association pour la Protection des Bassins du Bès et de la Truyère

– La terre est de granit, les ruisseaux sont de marbre;
C’est l’hiver; nous avons bien froid. Veux-tu, bon arbre,
Être dans mon foyer la bûche de Noël?
– Bois, je viens de la terre, et, feu, je monte au ciel.
Frappe, bon bûcheron. Père, aïeul, homme, femme,
Chauffez au feu vos mains, chauffez à Dieu votre âme.
Aimez, vivez. – Veux-tu, bon arbre, être timon
De charrue? – Oui, je veux creuser le noir limon,
Et tirer l’épi d’or de la terre profonde.
Quand le soc a passé, la plaine devient blonde,
La paix aux doux yeux sort du sillon entr’ouvert,
Et l’aube en pleurs sourit. – Veux-tu, bel arbre vert,
Arbre du hallier sombre où le chevreuil s’échappe,
De la maison de l’homme être le pilier? – Frappe.
Je puis porter les toits, ayant porté les nids.
Ta demeure est sacrée, homme, et je la bénis;
Là, dans l’ombre et l’amour, pensif, tu te recueilles;
Et le bruit des enfants ressemble au bruit des feuilles.
– Veux-tu, dis-moi, bon arbre, être mât de vaisseau?
– Frappe, bon charpentier. Je veux bien être oiseau.
Le navire est pour moi, dans l’immense mystère,
Ce qu’est pour vous la tombe; il m’arrache à la terre,
Et, frissonnant, m’emporte à travers l’infini.
J’irai voir ces grands cieux d’où l’hiver est banni,
Et dont plus d’un essaim me parle en son passage.
Pas plus que le tombeau n’épouvante le sage,
Le profond Océan, d’obscurité vêtu,
Ne m’épouvante point: oui, frappe. – Arbre, veux-tu
Être gibet? – Silence, homme! va-t’en, cognée!
J’appartiens à la vie, à la vie indignée!
Va-t’en, bourreau! va-t’en, juge! fuyez, démons!
Je suis l’arbre des bois, je suis l’arbre des monts;
Je porte les fruits mûrs, j’abrite les pervenches;
Laissez-moi ma racine et laissez-moi mes branches!
Arrière! homme, tuez! ouvriers du trépas,
Soyez sanglants, mauvais, durs; mais ne venez pas,
Ne venez pas, traînants des cordes et des chaînes,
Vous chercher un complice au milieu des grands chênes!
Ne faites pas servir à vos crimes, vivants,
L’arbre mystérieux à qui parlent les vents!
Vos lois portent la nuit sur leurs ailes funèbres.
Je suis fils du soleil, soyez fils des ténèbres.
Allez-vous-en! laissez l’arbre dans ses déserts.
A vos plaisirs, aux jeux, aux festins, aux concerts,
Accouplez l’échafaud et le supplice; faites.
Soit. Vivez et tuez. Tuez, entre deux fêtes,
Le malheureux, chargé de fautes et de maux;
Moi, je ne mêle pas de spectre à mes rameaux!

Janvier 1843 – XXIX. La Nature, Victor Hugo

Les Contemplations, Autrefois, Livre Troisième, Les luttes et les rêves.

A propos Association pour la Protection des Bassins du Bès et de la Truyère

Protéger et valoriser les espaces naturels, la biodiversité, les paysages historiques, et le patrimoine bâti des bassins versants du Bès et de la Truyère, plus particulièrement de l'Aubrac et de la Margeride, tel est notre principal objectif. Pour cela, nous luttons activement contre la marchandisation de ces massifs.
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