Eolien industriel, entre illusion et corruption – Episode 8 – A qui profite le crime contre nos Paysages?

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Crédit Image © Association Bès/Truyère

Sept ans après la crise financière qui a plongé le monde dans une tourmente économique et sociale dont il ne s’est pas encore relevé, l’affaire Volkswagen nous rappelle -cette piqûre n’était pas nécessaire- que certaines entreprises manquent cruellement d’éthique, que plus elles sont puissantes plus elles ont la capacité de berner les Etats et les citoyens et que -quelle que soit la position d’un pays sur l’échelle du libéralisme économique- le devoir de ces Etats est de réglementer de façon à empêcher notamment les pratiques financières ou industrielles frauduleuses et/ou déloyales, tout en protégeant la santé et la sécurité des citoyens. L’objectif n’est pas ici de jeter l’opprobre sur le secteur privémais de dénoncer le fait que 1/ les entreprises les moins scrupuleuses se drapent aisément derrière une communication institutionnelle politiquement correcte, capable de faire illusion, donc de tromper le gouvernement et les citoyens et que 2/ l’Etat faillit trop souvent à sa mission de régulation et de protection, parfois même en dépit de l’évidence.

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Crédit photo © Association Bès/Truyère

A cet égard, l’exemple de l’industrie éolienne est un cas d’école. En France, cette industrie est dominée par une poignée de multinationales et de fonds d’investissement qui prétendent s’inscrire dans une dynamique de sauvegarde de la planète. Ces entreprises soignent leur image « verte » et « propre » au moyen de sondages biaisés et d’une communication envahissante qui s’insinue jusque dans les manuels scolaires (voir ci-contre). La mise en oeuvre de projets éoliens procède cependant d’une succession de démarches dont l’éthique est non seulement absente mais dont l’intention malveillante est sans ambiguité. Deux exemples:

1 / l’ensemble de la population impactée par ces projets n’est jamais ni informée ni consultée en amont d’un projet; illustration: un nouveau projet de la compagnie Engie, ex GDF-Suez, est en voie de développement sur la commune de La Fage Montivernoux (nord Aubrac) où elle a installé un premier mât de mesure en 2009; à ce jour, l’ensemble de la population de cette commune n’a jamais reçu aucune information de l’entreprise, sans parler des autres communes de l’Aubrac qui « profiteront » néanmoins de ce parc industriel. En Margeride, où les projets se multiplient à une vitesse effrayante, le modus operandi est le même: aucune information de l’entreprise à la population, il faut attendre l’enquête publique pour connaître le contenu d’un projet, c’est à dire le stade où il est déjà si avancé qu’il devient presque impossible à stopper.

2/ La multiplication ces dernières années de cas de corruption et/ou de prises illégales d’intérêt touchant des élus locaux met également en lumière le cynisme des entreprises de ce secteur industriel. Alors qu’elles connaissent parfaitement la loi (leur action est encadrée par une armée d’avocats), elles n’hésitent pas à laisser, voire à pousser les élus de petites communes rurales -souvent perdus dans les méandres du droit administratif et pénal- à commettre des erreurs qui passent souvent inaperçues ou ne sont pas identifiées dans le délai administratif légal, ce qui permet de valider une implantation industrielle dont le seul objectif est de récupérer des subventions d’Etat. Illustration: les cas en France sont tellement nombreux que le préfet de Lozère a rédigé en août 2014  une circulaire sur la transparence de la vie publique pour rappeler aux élus les risques de prise illégale d’intérêts et de conflits d’intérêt. C’est bien l’activité éolienne, spécifiquement mentionnée dans l’avant-dernier paragraphe de ce texte, qui a motivé la circulaire. L’Etat est là dans son rôle, mais ce rôle trouve rapidement ses limites car 1/ la préfecture n’a pas les moyens de vérifier la légalité de toutes les délibérations prises dans le cadre du développement éolien en Lozère; 2/ elle n’a aucune prise sur les promoteurs d’éolien qui continuent d’avancer leurs chars d’assauts sans se soucier des dégâts collatéraux sur la vie publique des petites communes rurales. Seule la vigilance du citoyen -à travers les associations de la vie civile- fait la différence, en permettant de débusquer les supercheries et en informant la population. Pour autant, certains n’hésitent pas à nous reprocher ce rôle publiquement!

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Gorges du Bès – Crédit photo © Association Bès/Truyère

Notre Association, ainsi que celles qui forment le Collectif Patrimoine Lozérien, dérange de plus en plus car elle remet en cause un ordre établi sans légitimité, mais avec le soutien des institutions. C’est la preuve que nous sommes sur la bonne voie. Par ailleurs, elle est parfois la cible de la plume d’individus qui n’hésitent pas à s’autoproclamer gardien de la pensée écologique. Ces critiques, quelle qu’en soit la source, sont souvent fondées sur une méconnaissance du sens de notre action et de notre positionnement face aux défis environnementaux. Quelques précisions s’imposent, afin que le sens de notre propos soit mieux compris:

  • notre association a été créée par trois anciens maires ayant exercé leurs fonctions dans des petites communes rurales aux confins de l’Aubrac et de la Margeride; elle a pour objectif -notamment- défendre le patrimoine naturel et bâti de ces territoires dans le sens de l’intérêt général;
  • nous ne sommes pas la branche locale d’une quelconque organisation nationale, nous avons notre liberté d’opinion, de parole et d’action;
  • notre association reconnait et comprend l’importance et la magnitude des changements climatiques et la nécessité d’engager rapidement et à différentes échelles (citoyen, famille, village, … département, région, état) des cercles vertueux pour ralentir puis renverser les tendances lourdes qui caractérisent la dégradation de l’environnement; autrement dit, notre association ne véhicule pas un discours « climato-sceptique »;
  • contrairement à ce qu’aiment faire croire nos détracteurs (trop pressés ou trop paresseux pour pousser leur réflexion), notre association ne roule pas pour l’industrie nucléaire; il y a des pro et des anti-nucléaires dans notre association (oui, on peut être anti-nucléaire et anti-éolien), nous ne sommes pas dans le dogme sur cette question et estimons que le discours consistant à cristalliser le débat sur l’énergie autour du sempiternel « pour ou contre l’énergie nucléaire » est généralement la marque d’une grande paresse intellectuelle et d’une ignorance des enjeux géo-stratégiques autour des questions démographiques, économiques et énergétiques à l’échelle planétaire;
  • notre association est favorable à un développement des énergies renouvelables, dans le respect de la Nature et de l’Homme; nous entendons par là que nous sommes favorables aux projets qui respectent l’environnement, au sens du PAYSAGE; là non plus, nous ne sommes pas dans le dogme, c’est au cas par cas: des panneaux solaires sur une grande surface bâtie, commerciale ou agricole, oui; des éoliennes de 150 mètres de haut, tenues par de lourdes semelles en béton qui provoquent des désordres hydrographiques et dégradent le PAYSAGE, non.
  • Comment définir un « PAYSAGE »? De mille et une façons. Notre définition s’inspire de celle de deux ONG (UICN et WWF, l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature et le World Wide Fund). Un PAYSAGE est une mosaïque de terres contigües, allant de la parcelle cultivée à l’espace naturel, sur une vaste zone géographique, façonnée et influencée par une interaction entre l’Homme et la Nature et donc marquée par des caractéristiques écologiques, culturelles et socio-économiques qui la distinguent des ensembles géographiques voisins.
  • On comprend bien que cette approche dynamique et multi-dimensionnelle de la notion de paysage est une condition nécessaire à la gestion intégrée, raisonnée et participative des territoires, et notamment des écosystèmes dont les fonctions ne se limitent pas à des services essentiels rendus sur le plan environnemental (par ex, capture du monoxyde carbone, régulation du cycle de l’eau, conservation de la biodiversité) mais s’étendent également à des fonctions culturelles (par ex, identification d’une population à son Paysage, patrimoine bâti à partir des ressources naturelles), sociales (par ex, solidarité entre communautés vivant au sein d’un même Paysage, solidarité d’une diaspora qui conserve ses racines dans le Paysage) et économiques (par ex, produits agricoles capitalisant sur l’identité paysagère, écotourisme). Faut-il rappeler que le mot « Paysage » est formé d’après le mot « Pays » et qu’il véhicule à ce titre bien plus que l’image de « carte postale » dans laquelle nos détracteurs aimeraient tant nous enfermer?
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Paysage d’Aubrac – Crédit photo © Association Bès/Truyère

Il découle de ce qui précède qu’un projet éolien, typiquement le fruit d’un simple accord entre un promoteur et le maire d’une micro-commune rurale, est une aberration: 165 habitants et 95 habitants respectivement à La Fage Montivernoux et à Chauchailles, où se trament deux projets au nord de l’Aubrac, 148 au Born, près du lac de Charpal où vient d’être approuvé un projet de 8 éoliennes de 150 mètres de haut, incompatible avec le PAYSAGE unique du plateau du Palais du Roy. Les différentes instances départementales se contentent généralement de valider ce que le promoteur impose à la commune: Sinon comment la Commission des Sites aurai-t-elle pu approuver le projet éolien du plateau du Palais du Roy? Et comment, dans la foulée, la préfecture peut-elle autoriser la destruction d’un tel PAYSAGE? C’est incompréhensible. Un arrêté préfectoral autorisant l’exploitation d’un parc éolien est généralement très révélateur de l’impact de cette industrie sur l’environnement et la biodiversité. Précisément, celui autorisant le parc éolien près du lac de Charpal sur le Plateau du Palais du Roy est un modèle du genre, à juger notamment par le titre de certains articles, regroupés sous le chapitre des « Mesures spécifiques à la prévention des enjeux environnementaux locaux »:

  • Suivi du comportement et du transit migratoire de l’avifaune et des chiroptères
  • Suivi environnemental
  • Dispositif de détection et d’effarouchement avifaune
  • Mesures spécifiques en faveur des chiroptères

On apprend dans cet arrêté que la DREAL a demandé par courrier à la Société Vents d’Oc (le futur exploitant) « de déposer une demande de dérogation pour la destruction d’espèces protégées »: nous voudrions bien trouver des qualités à la production d’électricité au moyen d’éoliennes géantes, mais franchement, c’est difficile. Cet arrêté énumère donc des « Mesures spécifiques à la prévention des enjeux environnementaux locaux ». Mais quid des enjeux humains? Rien. Insidieusement, cet arrêté oppose l’Homme à la Nature en ignorant délibérément que la dégradation de milieux naturels puisse être aussi un enjeu humain. Implicitement, il suggère que l’Argent est LA mesure spécifique à la prévention des enjeux humains. Ironiquement, un seul article dans cet arrêté évoque une possible nuisance pour l’Homme: « Autosurveillance des niveaux sonores ». Notez le terme « Autosurveillance » et faites le lien avec l’affaire Volkswagen…

Bref, tout se passe comme si l’Etat refusait d’admettre que la destruction de nos PAYSAGES, notamment la perte irréversible de ressources naturelles basée sur l’usurpation préalable des biens communs, n’avait aucun impact sur notre santé ni sur notre sécurité: nous ne pouvons donc espérer aucune protection de l’Etat. Quant au Conseil Départemental de Lozère, il réfléchirait à mettre un place une péréquation des revenus de l’éolien entre les collectivités territoriales: ceci consisterait à donner à chaque commune quelques miettes de l’immense butin que l’industrie de l’éolien amasse sur notre dos en s’accaparant les richesses immatérielles de la Lozère. Une péréquation au nom de la justice et de l’égalité? Non: une péréquation pour nous acheter! Quelle insulte à notre intelligence collective! L’argent de l’éolien a réussi à saper les fondements de nos démocraties locales. Dire que nous sommes écoeurés par cette situation est un euphémisme.

Car même si nous ne sommes pas d’accord avec la politique nationale en matière d’éolien industriel, nous ne critiquons pas l’intention derrière l’action du gouvernement. Celui-ci a été pris de cours par la directive européenne sur les énergies renouvelables de 2009. Alors que cette directive fixait des buts à atteindre par chaque pays tout en laissant une marge de manoeuvre sur les modalités de leur mise en œuvre, l’éolien industriel a d’abord été avancé par facilité: il suffisait pour la France de calquer sa politique sur celle du Danemark ou de l’Allemagne. Celle-ci s’inscrit donc dans le cadre d’une politique européenne. Nous ne nous perdrons pas ici dans un débat souverainiste et ce d’autant moins que nous souscrivons à la nécessité de réduire le recours aux énergies fossiles dans les mix énergétiques et électriques à l’échelle européenne. Pour nous le débat n’est pas là. Les questions sont les suivantes: pourquoi le gouvernement a-t-il choisi l’éolien industriel comme l’un des piliers de sa politique de transition énergétique? Pourquoi le gouvernement continue-t-il de soutenir une industrie aussi onéreuse au regard de la faiblesse de son rendement, aussi peu éthique dans ses pratiques de développement, aussi mal acceptée par la population rurale française (il existe plus de mille associations, aussi spontanées que la nôtre, à travers le territoire français soit en moyenne une dizaine par département)? Pourquoi le gouvernement est-il dans une logique de déréglementation de cette industrie alors que les preuves des effets pervers de sa politique s’accumulent et que de plus en plus de scientifiques pointent vers un risque sanitaire? Peut-on espérer que le gouvernement reconnaisse un jour que le développement de l’éolien industriel en France mène à un échec socio-économique d’ampleur ainsi qu’à une impasse écologique dans laquelle sont précipités les centaines de PAYSAGES qui font la richesse de la France?

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Charlie Hebdo sur l’éolien le 23 septembre 2015 – Crédit image © Charlie Hebdo

Quel est le point commun entre Charlie Hebdo et Le Figaro? Ils se posent en ce moment les mêmes questions que nous. Les éléments de réponse (lobbyisme forcené des géants de l’énergie fossile, collusion entre le gouvernement et les milieux d’affaires, pression inouïe d’un groupuscule politique qui n’est plus que l’ombre de lui-même) laissent peu de place à l’optimisme.

Pour conclure, voici une autre clé d’analyse, qui explique peut-être la surdité du gouvernement sur la question de l’éolien industriel: à l’occasion des négociations sur la dette de la Grèce, le Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers Monde avait interrogé en mars 2015 Paul  Krugman, économiste américain et prix Nobel d’économie pour comprendre « pourquoi une institution, un gouvernement s’acharnait à soutenir et même à contraindre de suivre un processus, un programme, une ligne politique, un projet qui de toute évidence est mauvais, pire, dangereux, et qui précarise aussi bien une région, qu’un pays voire même un continent? »; voici ce qu’avait répondu Paul Krugman: « De nombreuses études psychologiques montrent que des personnes qui ont des convictions profondes, ne changent pas d’avis même face à l’évidence. On sait même que plus elles en savent et plus elles résistent. Ce n’est pas très surprenant mais très éclairant. Les gens ont leurs propres valeurs. Vous pouvez faire tous les calculs que vous voudrez pour leur démontrer qu’ils sont absurdes, vous n’obtiendrez que leur colère. Ils ne changeront pas d’avis ».

C’est un raisonnement qui s’applique aussi bien aux pro qu’aux anti-éoliens, pourrait-on nous rétorquer, mais n’oublions jamais à qui profite le crime… 

Pascale Debord, Association pour la Protection des Bassins du Bès et de la Truyère

069-smallVous avez manqué un épisode de la série « Eolien industriel, entre illusion et corruption », dont l’objectif est d’illustrer la dérive du secteur de l’éolien en France et son impact nocif sur le monde rural, notamment en Aubrac et en Margeride?

Episode 7 – Que du vent, la preuve?

Episode 6 – Pour ou contre les éoliennes en Aveyron?

Episode 5 – « Supprimer le facteur humain »

A propos Association pour la Protection des Bassins du Bès et de la Truyère

Protéger et valoriser les espaces naturels, la biodiversité, les paysages historiques, et le patrimoine bâti des bassins versants du Bès et de la Truyère, plus particulièrement de l'Aubrac et de la Margeride, tel est notre principal objectif. Pour cela, nous luttons activement contre la marchandisation de ces massifs.
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3 commentaires pour Eolien industriel, entre illusion et corruption – Episode 8 – A qui profite le crime contre nos Paysages?

  1. monique denoncin dit :

    J’aime lire vos textes qui m’inspirent dans notre propre combat contre l’envahissement de turbines dans nos campagnes Bourguignones. Samedi, notre maire en « partenariat  » dit-il avec le promoteur
    invitait la population a une permanence d’information. Certainement pas la reunion esperee ou nous aurions eu l’occasion de presenter notre point de vue. Le promoteur-menteur avec plein de photo-montages ignobles a garde envers chacun une attitude de mepris extreme avec un sourire
    hautin durant les 3 heures de contradictions, de duperie..Quelle perte de temps pour tous. Ces
    messieurs n’ont pas aime nos questions et nos commentaires tres informes, ils pensaient que nous
    etions tous des veaux, nous avons fait prevue de coherence et d’hostilite face a leur attitude de conquerants. Cette séance n’a fait que nous solidifier dans notre position et nous plantons des pan-neaux anti-eoliens dans nos proprieties, bien visibles des routes.

  2. Ping : L’Aubrac n’est pas à vendre…(8) | Nature Aubrac

  3. MCLEAN CATHERINE dit :

    Dans l’espoir que nos opposants et élus communaux prennent le temps de lire.

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