PNR Aubrac: un futur rideau d’acier?

dessin gaboreau

Crédit image © Association pour la Protection des Bassins du Bès et de la Truyère

Alors que le projet de Parc Naturel Régional (PNR) d’Aubrac est sur le point d’aboutir, le plateau d’Aubrac est en danger. Paradoxalement, jamais son identité et son intégrité territoriale n’ont été aussi menacées qu’à la veille de sa labellisation par l’Etat. Nous souhaitons attirer l’attention des citoyens élus et non élus qui vivent de et font vivre l’Aubrac, y compris tous ceux qui se passionnent pour le devenir de ce territoire d’exception et contribuent à son rayonnement au-delà de ses frontières naturelles, sur le risque inconsidéré que pose le développement de l’éolien industriel au sein même du futur PNR Aubrac. Ce risque est cristallisé dans une disposition de l’avant-projet de charte, intitulée « Concilier le développement des énergies renouvelables avec la préservation des paysages er des milieux naturels ».

Nous saluons bien sûr l’avant-projet de charte, fruit d’une détermination sans faille de la part de nombreux acteurs locaux. Il représente dans son ensemble un travail considérable et d’une grande qualité. Il engage pour une période de 12 ans les communes aveyronnaises, cantaliennes et lozériennes qui adhérent sur une base volontaire à une politique solidaire de protection de l’environnement de l’Aubrac, de son aménagement et de développement économique et social. Et nous tenons à ajouter que nous ne réduisons pas l’avant-projet de charte à son volet éolien: ce préambule est nécessaire, tant le sujet de l’éolien industriel fâche et divise les individus, tant il sape les relations sociales au sein des communes rurales.

Pour autant, la disposition « énergies renouvelables » évoquée ci-dessus va rapidement conduire à une destruction complète et irréversible des paysages d’Aubrac. Voici ce qu’elle dit: « Conformément aux Schémas Régionaux Eoliens, la majeure partie du territoire de l’Aubrac n’a pas vocation à accueillir d’éoliennes industrielles en raison de sa forte sensibilité paysagère. En conséquence, sur l’Aubrac cantalien et aveyronnais (hors Saint Geniez d’Olt et Saint Eulalie d’Olt), sur le plateau ouvert et sur le plateau fermé de l’Aubrac Lozérien, le développement de l’éolien industriel est considéré comme incompatible avec les objectifs de préservation des paysages identitaires de l’Aubrac. En dehors de ces zones, les éventuels projets éoliens devront tenir compte des spécificités locales et s’inscrire dans une démarche de progrès impliquant… » un certain nombre de recommendations (cliquez ici pour les lire) qui reprennent malheureusement la propagande bien rodée de l’industrie de l’éolien (« favoriser l’intégration paysagère », « optimisation des retombées économiques locales », etc…). La disposition est par ailleurs illustrée par deux cartes que nous restituons plus bas.

« En dehors de ces zones… » précise la disposition? On comprend donc qu’elle définit -au sein même du périmètre du futur PNR- une zone qui n’est ni l’Aubrac cantalien, ni l’Aubrac aveyronnais, ni le plateau ouvert de l’Aubrac Lozérien, ni la plateau fermé de l’Aubrac lozérien et qui serait donc habilitée à accueillir des centrales éoliennes. Mais alors de quelles communes parle-t-on? Il faut procéder par déduction et imaginer qu’en plus des deux communes citées ci-dessus (Saint Geniez d’Olt et Saint Eulalie d’Olt), il existerait donc une zone qui ferait partie de l’Aubrac sans être digne de l’Aubrac et de ses paysages? Etrange stratégie que de poser ainsi une inégalité flagrante, une discrimination évidente entre des communes toutes habilitées à faire partie du PNR Aubrac! Il faut se tourner vers les cartes pour savoir qui sont ces communes coupables de n’être pas aussi attrayantes que celles du coeur de l’Aubrac, en somme d’être tout juste bonnes à accueillir des installations industrielles d’envergure et à recevoir l’aumône des promoteurs: on parle pudiquement de « compensation financière », qui n’est ni plus ni moins qu’un droit à la destruction.

Dans l’avant-projet de charte, le périmètre du futur PNR Aubrac est ainsi divisé en deux zones:

  • zone bleue = « Eolien incompatible avec les sensibilités paysagères de l’Aubrac »
  • zone jaune = « Eolien compatible avec les sensibilités paysagères de l’Aubrac »

zonage éolien retenu dans la charte du PNR

Zonages éoliens retenus dans le projet de charte du Parc Naturel Régional d’Aubrac – source « Syndicat mixte de Préfiguration du Parc naturel régional de l’Aubrac »

Autant dire que pour ceux qui résident dans les communes situées en zone « compatible », c’est à dire toutes les communes au nord-est, à l’est et deux communes au sud de l’Aubrac, le zonage éolien tel que défini dans l’avant-projet de charte constitue non pas un risque mais une CONDAMNATION! Ces communes sont désignées d’emblée comme des concessions potentielles pour les investisseurs de l’éolien.

Ainsi l’avant-projet de charte autorise, pour ainsi dire, l’érection d’un rideau d’acier sur la façade est du plateau d’Aubrac: un tel zonage est en effet une invitation directe au démarchage incessant des promoteurs et à la multiplication inexorable et à très brève échéance (un à deux ans compte tenu des nouvelles dispositions réglementaires, c’est à dire du permis unique) de centrales industrielles, notamment dans la partie lozérienne du futur PNR. Précisions que si ce zonage n’a aucun caractère contraignant ni réglementaire il constitue cependant une arme redoutable contre les promoteurs à l’intérieur de la zone bleue. A l’inverse, à l’intérieur de la zone jaune, il offre une arme de premier choix au promoteur. Ce dernier sait pertinemment que plus il se rapproche du coeur de l’Aubrac (de ce qu’on nomme l’Aubrac « ouvert »), moins il a de chance que son projet industriel n’aboutisse. Autrement dit, une fois la charte validée, le démarchage des communes va progressivement cesser dans la zone bleue (une bonne chose car il y est encore très actif) et se reporter exclusivement sur la zone jaune, ce qui n’est pas plus acceptable. D’où le rideau d’acier à l’est de l’Aubrac. Ou à l’ouest de la Margeride. C’est selon que le regard porte depuis les crêtes de l’Aubrac ou celles de la Margeride. Car, c’est une évidence -mais encore faut-il le marteler- comme le plateau d’Aubrac verse doucement depuis ses sommets (situés au sud et au sud-ouest) vers le nord et l’est, toutes les vues convergent vers ces points cardinaux. De même que la Margeride offre des paysages d’une rare beauté en direction de l’Aubrac et des Monts du Cantal.

Mais c’est fini tout ça: l’horizon bleu de la Margeride, les flancs enneigés du Cantal, les croupes de l’Aubrac. L’époque n’est ni à la poésie, ni à la contemplation, ni même -et c’est un comble- à l’écologie. C’est l’ère du fric, place aux éoliennes: 107 mètres hier, 150 mètres aujourd’hui, 180 mètres demain. Démonstration de l’impact paysager à travers 3 profils altimétriques:

  • Profil #1 – du Sud-Ouest vers le Nord-Est, à savoir du Puech du Roussillon près de la station de Laguiole (Aveyron) vers le Truc de l’Homme (Lozère) et Saint-Chély d’Apcher
  • Profil #2 – du Sud vers le Nord, du signal de Mailhebiau (le point le plus haut de l’Aubrac) vers Saint-Juéry et les Gorges du Bès (limite Cantal/Lozère)
  • Profil # 3 – Sud-Est vers le Nord-Ouest, depuis le « Peyro del Ase » à proximité d’Ussels (Lozère) vers le Bès et, au-delà, les Monts du Cantal
PROFILS AUBRAC + PARCS EOLIENS

3 profils altimétriques sur l’Aubrac – Source © Association pour la protection des Bassins du Bès et de la Truyère, sur fond IGN (Geoportail)

 

Premier profil altimétrique (cliquez sur le profil pour le lire plus facilement), du Sud-Ouest vers le Nord-Est, à savoir du Puech du Roussillon près de la station de Laguiole (Aveyron) vers Saint-Chély d’Apcher (Lozère) en passant par le Truc de l’Homme où se situe le seul et unique parc éolien de l’Aubrac, un ensemble industriel de 7 éoliennes de 107 mètres de haut (en bout de pale), construit par Alstom, puis racheté et exploité par EDP (Energie du Portugal) et cédé depuis à EFG Hermes (une banque d’investissement égyptienne), pour résumer l’histoire de ce parc, à moins qu’un épisode de ces juteuses transactions ne nous ait échappé. La distance entre la station de Laguiole et le Truc de l’Homme est d’environ 24 km: l’altitude entre le Puech du Roussillon (1402 mètres) et celle de l’installation industrielle (environ 1320 mètres en bout de pale, toutes les éoliennes font la même hauteur mais ne sont pas implantées à la même altitude) sont assez comparables.

Aubrac - profil 1

Profil #1 – SUD-OUEST / NORD-EST – du Puech du Roussillon (1407 m) vers le Truc de l’Homme (1210 m) – Distance: environ 26 km – Crédit croquis © Association pour la Protection des Bassins du Bès et de la Truyère (profil altimétrique source: IGN- GEOPORTAIL)

Le deuxième profil altimétrique (ci-dessous) simule le regard depuis le point culminant de l’Aubrac, le signal de Mailhebiau (1469m), vers Saint-Juéry au Nord et l’entrée des Gorges du Bès sur une distance d’environ 29 km. La rivière emblématique de l’Aubrac sépare la Lozère du Cantal sur la partie inférieure de son cours (qui se dirige vers la Truyère, au nord) et notamment au niveau des gorges du Bès qui entaillent le plateau dans sa partie septentrionale et présentent en aval de Saint-Juéry l’un des paysages les plus exceptionnels de l’Aubrac. En vous reportant à la carte du zonage éolien (ci-dessus), vous noterez cependant que la rive gauche (cantalienne) du Bès au niveau des gorges est en zone bleue « Eolien INCOMPATIBLE avec les sensibilités paysagères de l’Aubrac » alors que la rive droite (lozérienne) est en zone jaune « Eolien COMPATIBLE avec les sensibilités paysagères de l’Aubrac »! Les gorges sont si étroites et si profondes qu’elles se devinent à peine depuis la Lozère ou le Cantal: il faut en effet les surplomber au site d’Arzenc d’Apcher (Lozère) pour prendre toute la mesure de ces paysages verticaux, vertigineux, infranchissables, refuge d’une incroyable biodiversité animale et végétale. Autrement dit le plateau à l’est de Chaudes Aigues (zone bleue) est en parfaite continuité visuelle avec les communes d’Arzenc d’Apcher et d’Albaret Le Comtal (au nord de Fournels), situées sur la rive droite des gorges, donc en zone jaune. Voilà donc au moins deux de ces communes indignes de l’Aubrac, et peu importe que le village d’Arzenc d’Apcher soit un site classé et que cette commune se soit prononcée en octobre 2012 contre le développement de l’éolien sur son territoire… Incohérence flagrante,  discrimination humiliante dont on expliquera l’origine un peu plus loin.

Aubrac - profil 2

Profil #2 – SUD-NORD, du signal de Mailhebiau (1470m) vers Saint-Juéry et les Gorges du Bès (910m) – Distance: environ 29 km – Crédit croquis © Association pour la Protection des Bassins du Bès et de la Truyère (profil altimétrique source: IGN- GEOPORTAIL)

Le troisième profil est plus court, il s’étend sur une distance de moins de 5 km depuis le depuis le Peyro del Ase à proximité d’Ussels (Lozère) vers le Bès et au-delà les Monts du Cantal (Cantal). Précision qui a son importance, ce troisième profil est plus que d’actualité car le fonds d’investissement NEOEN a déposé le 13 mai 2015 auprès de la Préfecture de Lozère une demande d’autorisation d’exploiter un parc de 6 éoliennes de 150 mètres de haut dans la commune de Chauchailles, précisément au Peryo del Ase, aux confins des communes de Chauchailles, Noalhac, Brion, Saint-Laurent de Veyrès et La Fage Montivernoux (toutes situées en zone bleue…).

Aubrac - profil 3

Profil # 3 – SUD-EST / NORD-OUEST – Du Peyro del (1240m) vers le Bès (980 m) et le Plomb du Cantal (1855 m) – Crédit croquis © Association pour la Protection des Bassins du Bès et de la Truyère (profil altimétrique source: IGN- GEOPORTAIL)

 

IMG_2272 - Version 2

Crédit image © Association pour la Protection des Bassins du Bès et de la Truyère

Notez que le Roc du Cheylaret (commune de Chauchailles, photo ci-contre) qui figure sur le profil #3 est l’un des plus beaux témoins de l’histoire géologique de l’Aubrac: il offre un panorama unique vers le volcan du Cantal au nord-ouest et les monts d’Aubrac au sud et sud-ouest. Mais cette énorme masse de basalte (longue d’environ 200 mètres et haute de 35 mètres dans sa partie la plus élevée) qui -à une altitude 1128m- surplombe la vallée du Bès va être dorénavant écrasée par une centrale éolienne qui se dressera à quelques centaines de mètres, à 1390 mètres d’altitude (en bout de pale). Voici ce que pourrait être un jour la vue depuis le sommet du Roc du Cheylaret, en regardant vers une ligne de crête à l’ouest (donc au sud de Chauchailles). Ce montage est fictif: il a été réalisé à une époque où un projet plus ancien que celui de NEOEN (6 aérogénérateurs) prévoyait une quinzaine d’éoliennes réparties sur plusieurs communes du canton de Fournels. Néanmoins, comme il est très classique de voir se multiplier les installations dans la foulée d’un premier parc, ce montage peut être également qualifié de futuriste.  Bel exemple d’aménagement territorial, non?

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Vue depuis le sommet du Roc du Cheylaret vers le Puech du Roc et le Peyro del Ase, au sud de Chauchailles – Montage fictif – Crédit image © Association pour la Protection des Bassins du Bès et de la Truyère

Conclusion: comme l’Aubrac verse naturellement vers le  nord et l’est depuis ses sommets situés au sud et à l’ouest, l’effet visuel sur les paysages va être catastrophique pour le coeur du Plateau et sera donc contraire de l’effet recherché par le projet de charte. Les éoliennes du Truc de l’Homme vues depuis Saint-Urcize, Nasbinals ou depuis les hauteurs de Laguiole sont déjà un choc de jour comme de nuit (clignotements incessants) et pourtant elles ne font « que » 107 mètres en bout de pale. Imaginez ce que ce seront les paysages d’Aubrac depuis la butte de Marchastel , le puy de Gudette ou le signal de Mailhebiau lorsque s’élèvera une barrière de monstres d’acier de 180 mètres de haut à l’est du Plateau! La menace est réelle. En effet, hormis les projets en gestation à Chauchailles (NEOEN) et à La Fage Montivernoux (GDF-SUEZ), une nouvelle société vient d’implanter un anémomètre d’une hauteur de 100 mètres sur la commune de Sainte-Colombe de Peyre, ce qui laisse supposer que les futures éoliennes feront bien 180 à 200 mètres de haut en bout de pale: c’est d’ailleurs logique, car le nord de la Lozère faisant partie des zones les moins ventées de France, les industriels cherchent à compenser le manque de vent avec des aérogénérateurs de plus en plus hauts (à Chauchailles les machines seront « limitées » à 150 mètres par l’armée de l’air). Et bien sûr, c’est sans compter l’extension possible du parc du Truc de l’Homme et d’autres projets dont nous n’avons pas encore eu vent…

A ce stade, on se pose tellement de questions sur ce concept de zonage éolien qu’on finit par se demander à quoi sert un PNR! Alors on cherche à se rassurer. Article L133-1 du Code de l’Environnement: « La charte (d’un PNR) détermine les orientations et les principes fondamentaux de protection des structures paysagères sur le territoire du parc. » Oui, la protection des paysages est bien l’un des principes fondateurs d’un PNR! Ca fait du bien de le lire. Et la raison d’être du PNR Aubrac obéit d’autant plus à cette logique que le lien entre les paysages exceptionnels du Plateau d’un côté et l’économie et la culture de ce territoire de l’autre sont particulièrement étroits.

Alors, comment en est-on arrivé là? L’enfer est pavé de bonnes intentions. Comment expliquer que l’élaboration du projet de charte, un exercice de construction volontaire et solidaire de la part des communes qui ont adhéré au Syndicat Mixte de Préfiguration du PNR Aubrac (dont l’un des rôles est précisément l’élaboration du projet de charte), aboutisse à une telle discrimination entre des communes voisines, censées vibrer au même diapason, notamment sur la notion fondatrice de paysage? Car il ne faut pas se leurrer , ce zonage revient à diviser les citoyens de l’Aubrac en deux catégories: ceux qui vivront dans l’enfer des centrales éoliennes (zone jaune) et ceux qui auront un point de vue imprenable sur l’enfer (zone bleue). Et il est inadmissible que la disposition de l’avant-projet de charte reprenne mot pour mot la propagande des promoteurs: « favoriser l’intégration paysagère en veillant à limiter l’impact visuel sur le plateau ouvert de l’Aubrac »… Sans blague? Comment intégrer 50 mâts d’acier (chiffre minimum, en cumulant le parc existant du Truc de l’Homme et les projets en cours) dans des espaces naturels ou pastoraux, vierges de toute industrie, de tout bâtiment élevé ? NON, NON et NON! UNE CENTRALE EOLIENNE NE S’INTEGRE PAS DANS UN PAYSAGE. ELLE FAIT LE PAYSAGE. Il faut arrêter de prendre les gens pour des demeurés. Un projet éolien ne sera jamais neutre sur le plan paysager. Alors il faut prendre position: soit on veut de l’éolien, et alors tout le périmètre du PNR Aubrac doit être en zone compatible. Soit on n’en veut pas et il faut supprimer le zonage et décréter d’emblée que tout le périmètre est incompatible avec l’éolien. La demi-mesure serait la pire des mesures. N’y a-t-il pas un principe d’égalité et de solidarité entre les communes du périmètre labellisable par rapport aux agressions territoriales? L’avant-projet de charte évoque par ailleurs la possibilité de développer des projets éoliens auxquels participeraient les collectivités ou les citoyens. Là encore, c’est un argument des plus cyniques pour accroître ce les promoteurs d’éolien appellent dans leur jargon « l’acceptabilité » d’un projet: c’est encore prendre les indigènes que nous sommes pour des abrutis que de leur demander de prendre part à la destruction de leur environnement !

Mais revenons à la question: comment en-est-on arrivé au zonage éolien du futur PNR Aubrac? Premier élément de réponse: en dépit de la qualité d’ensemble du processus consultatif autour de l’élaboration de la charte, en dépit des multiples ateliers de travail, aucun atelier n’a jamais été consacré à l’éolien. Le sujet a toujours été abordé de façon indirecte (énergie, biodiversité, patrimoine, etc…). Car l’éolien industriel est un sujet tellement explosif, une telle source de division durable en zone rurale qu’il faut bien du courage pour l’aborder de front dans un cadre politique élargi. C’est pourtant ce qu’a fait le Syndicat Mixte de Préfiguration du PNR de l’Aubrac en délibérant en octobre 2015 sur l’opportunité de développer l’éolien industriel au sein du périmètre du futur PNR (voir cette délibération). L’intitulé des options soumises au vote était particulièrement judicieux car il permettait de désigner et donc de protéger spécifiquement une partie de l’Aubrac lozérien, très convoitée par les  promoteurs d’éolien industriel, à savoir l’Aubrac dit « fermé ». Cette délibération avait donc la capacité de mettre toutes les communes du périmètre du futur PNR Aubrac à l’abri du harcèlement des promoteurs et d’agressions qui ne sont plus supportables: les projets de centrales éoliennes se multiplient, les associations de défense de l’environnement n’ont plus le temps ni les moyens financiers de les contrer. Si demain nous cessons notre action, l’Aubrac et la Margeride appartiendront rapidement à la catégorie des victimes collatérales de la transition énergétique.

Bref, nous avons pensé un instant que la délibération du syndicat mixte allait nous sauver. Mais comme toujours, le diable se cache dans les détails. C’est donc avec stupéfaction que nous avons découvert que de nombreuses communes de l’Aubrac lozérien n’étaient pas concernées par cette protection. Sauf à comprendre que ces communes -englobées par le périmètre labellisable- ne font en réalité pas partie de l’Aubrac: un débat kafkaïen, interminable.

Alors où est l’erreur? La carte de zonage éolien du projet de charte du PNR Aubrac est tout simplement la somme des Schémas Régionaux Eoliens (SRE) Midi-Pyrénées (pour la partie aveyronnaise de l’Aubrac), Auvergne (pour la partie cantalienne) et Languedoc-Roussillon (pour la partie lozérienne). Or le SRE du Languedoc-Roussillon s’appuie sur le travail de bureaux d’études qui n’ont fait que valider des périmètres que des promoteurs éoliens se sont arrogés bien avant l’élaboration du SRE, en plantant de nombreux anémomètres à travers l’Aubrac et la Margeride (nous tenons à disposition les éléments qui prouvent ce point). Il présente par ailleurs des erreurs et incohérences. Un exemple? Tirez un trait entre Fournels et Saint-Chély: sur toute la région dite pourtant « favorable à l’éolien » (d’après la nomenclature du SRE Languedoc Roussillon) et située au nord de cette ligne, l’installation d’éoliennes industrielles est en réalité règlementairement interdite par l’armée de l’air depuis 2009. Le SRE Languedoc Roussillon en fait-il mention ? Aucunement. Ce SRE fait d’ailleurs l’objet d’un procès en cours par un collectif d’associations cantaliennes et lozériennes.

schémas régionaux éoliens

Synthèse des schémas régionaux éoliens – Source: projet de charte du PNR Aubrac – Syndicat Mixte de préfiguration du PNR Aubrac

Autre exemple, le secteur d’Aumont Aubrac est-il indigne des paysages de l’Aubrac, alors que la Terre de Peyre regorge de richesses patrimoniales (chemin de Saint-Jacques, Roc de Peyre, chateau de la Baume, etc.) ? La beauté de l’Aubrac s’explique en partie par cette perspective extraordinaire vers les massifs de la Margeride et du Cantal. Une barrière d’éoliennes en Terre de Peyre brisera l’horizon de l’Aubrac sur la Margeride et celui de la Margeride sur l’Aubrac et les monts du Cantal. C’est une blessure qu’on inflige à ces deux massifs. Et c’est une bien basse stratégie que de favoriser l’installation des éoliennes sur les franges de l’Aubrac. Elle témoigne indiscutablement d’un mépris pour ce qui n’est pas l’Aubrac: or la frange d’un territoire est toujours le cœur d’un autre territoire. Comment instaurer une solidarité et une harmonie entre les communes du PNR dans de telles conditions ?

Conclusion, la carte de zonage éolien de l’avant-projet de charte n’apporte aucune valeur ajoutée par rapport aux trois SRE. Elle ne témoigne d’aucune réflexion territoriale d’ensemble sur cette question de l’éolien, pourtant cruciale. Pire, elle condamne -plus encore que ne le fait le SRE Languedoc Roussillon- l’ensemble du plateau d’Aubrac. Au lieu de s’affranchir des incohérences flagrantes introduites par une gestion administrative éclatée entre trois départements/régions et qui menacent l’intégrité territoriale de l’Aubrac, l’avant-projet de charte les sublime. L’éolien n’est pas la seule énergie renouvelable, mais c’est certainement la plus controversée et la plus destructrice de richesse locale. Pourquoi la privilégier sur les franges de l’Aubrac ? Le volet éolien de l’avant-projet de charte ne fait donc que reprendre à son compte les erreurs, incohérences et omissions du SRE lozérien.

Notons par ailleurs que par arrêt du 3 mai 2016, la cour administrative d’appel de Lyon a annulé le Schéma Régional Climat Air Énergie (SRCAE) pour l’Auvergne et par voie de conséquence son SRE. Auparavant, neuf autres SRCAE ont été annulés en France pour défaut d’évaluatioenvironnementale préalable en violation du droit européen: Aquitaine, Ile de France, Basse-Normandie, Rhône Alpes, Bretagne, Limousin, Provence-alpes-Côte d’Azue, Lorraine, Pays de Loire et Midi-Pyrénéepartiellement. C’est dire qu’il est peu judicieux pour une charte de PNR d’appuyer sa politique de protection des structures paysagères sur un SRE !
Mea culpa en ce qui concerne notre association: quand nous avons demandé en juillet 2014 -avec 17 autres associations des trois départements- aux responsables du futur syndicat mixte de bien vouloir aborder le sujet de l’éolien dès que possible (voir cette demande), nous n’avons pas été suffisamment vigilants. Nous avons crû que le problème était si évident qu’il se passait d’une explication détaillée, nous avons estimé avoir suffisamment alerté les acteurs locaux au travers des différents ateliers auxquels nous avons participé, nous avons pensé naïvement que le problème était bien compris de tous et que le bon sens prévaudrait. Erreur grossière. Ce que nous écrivons ici aujourd’hui, il y a un an voire deux ans que nous aurions dû l’écrire. Mais il n’est pas trop tard, d’où ces explications tardives.
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Crédit image © Association pour la Protection des Bassins du Bès et de la Truyère

 Pour nous, cela ne fait aucun doute: l’avant-projet de charte doit être revu pour ce qui est de son volet éolien, car ces installations industrielles n’ont rien à faire sur le périmètre du PNR Aubrac. Le parc éolien du Truc de l’Homme (photo ci-contre) doit rester l’exemple de ce qu’il ne faut plus faire. Nous souhaitons donc que le syndicat mixte revoit sa copie avant qu’il ne soit trop tard, car le texte est encore amendable.
Ainsi, que vous habitiez dans une zone bleue ou jaune, nous vous demandons de vous manifester auprès de vos élus dans les meilleurs délais pour leur demander que TOUTES LES COMMUNES DU PERIMETRE DU FUTUR PNR AUBRAC SOIENT CLASSEES EN ZONE INCOMPATIBLE AVEC L’EOLIEN, autrement dit pour supprimer la zone dite « éolien compatible avec les sensibilité paysagères de l’Aubrac ». Si vous êtes un élu, tournez-vous vers les responsables du syndicat mixte pour formuler directement votre opposition à ce zonage. C’est la condition incontournable pour éviter la banalisation à très court terme du Plateau d’Aubrac. C’est la condition nécessaire pour un développement harmonieux et serein du futur PNR Aubrac, une terre où il fait bon vivre, investir et accueillir. L’Aubrac n’est pas à vendre.

Pascale Debord – Association pour la Protection des Bassins du Bès et de la Truyère

 

A propos Association pour la Protection des Bassins du Bès et de la Truyère

Protéger et valoriser les espaces naturels, la biodiversité, les paysages historiques, et le patrimoine bâti des bassins versants du Bès et de la Truyère, plus particulièrement de l'Aubrac et de la Margeride, tel est notre principal objectif. Pour cela, nous luttons activement contre la marchandisation de ces massifs.
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3 commentaires pour PNR Aubrac: un futur rideau d’acier?

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  2. Picard dit :

    Tout cela fait froid dans le dos…juste pour du fric,c’est pitoyable ‘Depuis que je suis petit ,mon rêve était de venir vivre en Lozere.C’est fait,j’habite Estables en Margeride,nous aussi nous sommes grandement menacés par ces horreurs.Jamais je n’aurais pensé à tout ça voilà treize ans quand nous sommes venus nous installer.Depuis que tous ces projets fleurissent,je suis angoissé,angoissé de perdre ces trésors de paysages pour lesquels je suis venu.Maintes et maintes fois j’ai écris dans la Lozere nouvelle pour alerter.Je me demande si cela sert à grand chose.J’ai très peur et éprouve de la haine envers ces connards de promoteurs qui se fichent de nos paysages dont on se nourrit tous les jours .N’y at il pas un politique courageux pour balayer d’un coup de revers de manche tous ces projets?Seul Monsieur Morel à L’Huissier semble (semblait)sensible à cette catastrophe annoncée,que fait-il,je n’en sais rien.Que faire?Je ne sais plus.Ce que je sais c’est que tout est pourri par le fric.Je suis écœuré et triste pour ma,notre lozere que j’adore depuis que je suis né.Benjamin Picard,un homme triste.

  3. carole joly dit :

    nous en savons quelque chose , nous, en sud aveyron, qui sommes dans le parc naturel régional des Grands Causses: celui ci doit devenir un lieu de production d’énergie afin de produire autant qu’il est consommé sur son territoire (carburant compris , déplacements et transport, quand bien même une partie de cette conso est du au traffic sur l’A75 et le viaduc qui traverse le PNR, blabla pour préserver les terres agricoles et naturel et au final, selon le scot, il y aura bien consommation énorme de terres ,: les élus (pas de mon coeur) ont décidé que la consommation de terres serait réduite de 50%, certes mais par rapport à la période qui précède et qui a vu construire l’autoroute et le viaduc soit une période qui correspondait avec une énorme consommation de terres naturelles qui ont été bétonnées…voila entre autres à quoi on a droit dans ce PNR ! bien sur Millau et le Larzac sont préservés , quant à st victor et melvieu, c’est une autre histoire: un méga transfo, cela en fera deux sur cette commune, et aussi une 400 000V doublée , dans une logique d’expansion, et tout cela au beau milieu d’un PNR.
    Le PNR GC concentrerait à lui tout seul environ 250 à 300MW de parcs éoliens.
    Carole

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